Les accents en impro

accent Dans notre série « Les mystères de l’improvisation », nous allons aborder un sujet épineux : les accents. Il semblerait que le fait de savoir imiter divers accents soit une corde majeure à l’arc de bien des improvisateurs, ou en tout cas représente une bonne partie des flèches présentes dans leur carcan.

Mais pourquoi cette obsession ? Hein, pourquoi ?

Déjà je pense qu’on peut séparer l’utilisation des accents en deux catégories : les accents utilisés parce que l’action se passe dans un pays ou une région particulière (ou parce qu’un personnage en vient) et les accents utilisés sans aucune raison apparente. Attaquons d’emblée le deuxième cas : c’est une ficelle comique à peu près du niveau d’un coussin péteur. Soudain, un improvisateur va rentrer sur scène en faisant l’accent québécois, sans aucune raison, sans le justifier, juste parce que l’accent québécois, eh bien c’est drôle. Ah ! il a dit « tabernacle » ! Qu’est-ce qu’on rigole. Comme le coussin péteur, je pense que ça me faisait bien rire à 12 ans mais maintenant… bon en fait à bien y penser un coussin péteur me ferait sans doute toujours rire. Par contre un accent « rigolo », non.

J’ai déjà entendu comme argument en défense des accents qu’il s’agirait d’une façon de caractériser un personnage. L’accent suisse amènerait un personnage lent et tranquille, l’accent italien un personnage qui parle fort en agitant les mains… Mais… Mais non ! Ce ne sont que des clichés de personnages. Ça parait bête à dire mais un italien, ce n’est pas un personnage, c’est une nationalité. Et franchement le cliché du marseillais qui boit du pastis, joue à la pétanque et fait la sieste, je pense que je l’ai assez vu et je n’ai aucune envie de le revoir. Mais le mieux reste encore l’accent allemand, fait par ceux qui en sont resté à « La Grande vadrouille », transformant tout personnage allemand en soldat nazi. C’est non seulement pas drôle mais en plus c’est irrespectueux au possible, alors pourquoi le faire ?

Je n’ai rien contre le fait de caractériser des personnages avec un adjectif, de façon très monodimensionnelle. Après tout sur des scènes courtes on ne va pas chercher à avoir des personnages d’une richesse inouï. Donc si un personnage est timide, colérique, stressé ou naïf, c’est déjà très bien, il sera simple de le faire interagir avec d’autres personnages pour créer une histoire. Mais belge ? Ça n’apporte rien, sauf si on utilise les clichés du belge bête qui aime les frites et la bière, ce qui n’apporte toujours pas grand chose.

Au passage je note un paradoxe à ce sujet dans les matchs d’impros. Jouer un cliché de personnage étranger (ou « hors-région » en tout cas) devrait a priori être sanctionné par une faute de « cliché » (elle est prévue pour ça non ?), voire même avec un supplément « cabotinage » quand  l’unique but est d’extraire un rire des quelques fans de Michel Leeb présents dans le public. Pourtant je n’ai d’une part pas de souvenir de l’avoir déjà vu et d’autre part la plupart des cas d’utilisation abusive des accents dont j’ai été témoin étaient lors de matchs (« on a 2 minutes pour les faire rire… On fait les chinois ! »). Enfin bref, fermons cette parenthèse, sans doute imbue de mauvaise foi.

Et encore je ne parle pas des fameuses « pertes d’accent ». Quand on s’aperçoit au bout de quelques minutes qu’un personnage a perdu son accent, et qu’en plus un autre personnage va sans doute le faire remarquer. Je pense qu’on peut s’en passer, donc ça fait au moins une bonne raison de ne pas prendre d’accent. C’est un peu la même chose que dans mon article sur les sexes et le sexisme en impro, avec un homme qui jouerait une femme mais un autre personnage l’oublie. Pourquoi prendre le risque ?

Ceci dit, utiliser un accent peut être pertinent dans certains cas. A priori ce n’est jamais indispensable, mais si on est dans une histoire qui se passe dans différents pays, ou avec des personnages qui viennent de différents pays pour une raison ou une autre, alors ça peut clarifier un peu les choses. Mais j’ai bien dit « différents pays« . Eh oui, si une histoire se passe en Russie, avec des Russes, pourquoi est-ce que les personnages parleraient français avec un accent russe ?

La représentation de différentes langues est quelque chose que je trouve très intéressant au cinéma. Il y a différentes approches, et c’est encore complexifié par le doublage dans la langue du pays dans lequel le film est diffusé. Déjà au niveau du doublage, vous imaginez si « Tigres et Dragons » était diffusé en France doublé en français avec accent chinois ? Donc pourquoi le faire en impro ? Si une impro se passe en Chine, alors que les chinois parlent français normalement. Pour les histoires « multi-langues », le cinéma a l’avantage de pouvoir utiliser des sous-titres et les vraies langues, ce qui est plus compliqué en impro donc on va oublier cette approche (qui reste à mon avis la meilleure…). Mais des films utilisent également des accents pour faire parler des étrangers sans sous-titres.

Par exemple dans le film « A la poursuite d’Octobre Rouge », le film commence avec les russes (qui sont des acteurs britanniques ou américains) parlant russes, mais à un moment la caméra zoome sur la bouche d’un personnage pendant qu’il parle et quand elle dézoome il parle maintenant en anglais avec un accent russe. La convention est donnée : quand 2 personnages se parlent en anglais avec accent russe, alors en réalité ils se parlent en russe. Cette façon de faire ne laisse aucun doute et permet de se passer de sous-titres. Dans d’autres films la transition est moins mise en avant mais est tout de même présente, et dans d’autres les personnages parlent directement en anglais avec accent et on suppose qu’ils doivent parler leur langue natale.

En impro on peut tout à fait faire la même chose.

Autre alternative aux accents : le gromelot (ou « yaourt »). Au lieu de parler avec un accent russe, autant parler un dialecte ressemblant vaguement à du russe. On reste un peu dans la caricature, et ça nécessite de bien savoir à quoi ressemble la langue en question (Ah ! le gromelot russe à base de « Vodka vodka ! Vodka vodka »…), mais je trouve ça nettement plus intéressant. Je ne vais pas le développer ici (je pense que ça mérite un article à part) mais le gromelot à plein de qualités, alors que les accents, je n’en vois pas.

5 réflexions sur “Les accents en impro

  1. Wouhouw !!

    Ouiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiii !

    Une petite perle du cinéma que j’ai savouré : dans ghost dog, dans la VO, tout le monde parle anglais, sauf le marchand de glace qui parle français, sans être sous-titré (ce qui rend volontairement incompréhensible ce que le marchand de glace dit pour les américains. Le dialogue est très drôle cependant).

    Dans la VF, tout le monde parle français, sauf le marchand de glace qui parle bambara (ou un autre dialecte africain qui m’échape), ce qui restaure le fait que le public ne comprend pas ce que le marchand de glace dit!

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  2. Pingback: Les personnages | Impro etc.

    • Je dirais que ça fonctionne aussi si c’est mal fait 😉
      Enfin si par fonctionner on entend faire marrer le public (et que le public n’est pas constitué entièrement de moi…).

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  3. Hello, hello,

    Je découvre ton blog sur le tard mais j’ai me bcp 🙂

    Concernant les accents, je suis tout à fait d’accord sur le fond, même si c’est un peu mon fond de commerce perso :p mais j’essaye de justifier à chaque fois l’accent et ne pas tomber dans les clichés. Et je m’interdis certains accents qui peuvent apporter du cliché (Michel Leeb si tu nous lis) même si bien faits (accents africains, asiatiques…)

    Il y a une catégorie qui joue à la fois sur les accents et gromelot, je ne sais pas si c’est son nom officiel, mais je l’appelle « les ambassadeurs » .

    Deux personnes jouent chacune un diplomate d’un pays et parlent chacune dans le gromelot du pays. Deux personnes jouent les interprètes (qui donc vont traduire le gromelot en français mais du coup forcément avec l’accent de leur pays respectif ^^).

    Il s’agit donc d’un ping-pong verbal entre chaque personnage.

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