Je joue un spectacle improvisé en duo avec Olivier Boulkroune qui s’appelle 100% Hugh & Olivier. Si le strict minimum d’effort a été fourni pour trouver le nom du spectacle (d’ailleurs il ne devait pas y avoir « 100% » dedans… mais on s’est habitué), et encore moins d’effort a été fourni pour faire une affiche, le spectacle en lui-même résulte de pas mal de tests, de réflexions, d’ajustements et de travail.
Je me disais que ce serait intéressant de révéler un peu notre démarche, et pourquoi elle est vouée à l’échec.
Quelques généralités sur les spectacles d’impro
La création d’un spectacle d’impro est un peu particulière, et il y a pas mal de façons différentes de le faire. Par exemple on peut avoir une idée de format de spectacle, et on le teste en public, et ça marche, alors on continue. Ou alors on peut lors d’une séance de travail tomber sur quelque chose d’intéressant et chercher à le développer pour en faire un spectacle. Ou alors on peut se baser sur un spectacle qu’on a aimé et chercher à l’adapter à notre sauce. Ou alors… Bref.
En tout cas je pense qu’on peut différencier deux aspects qui définissent un spectacle d’impro :
- Le format du spectacle (qu’on peut appeler aussi le décorum si on veut)
- La façon de jouer (je n’ai pas trouvé de meilleure formulation)
Une analogie avec le théâtre écrit serait que le format est le texte et la façon de jouer est la mise en scène (on pourrait jouer Hamlet aussi bien en mode burlesque que tragique…). Mais l’analogie ne marche pas si bien que ça donc je vais rapidement passer à la suite.
Le format est souvent ce qui est mis en avant, par exemple pour les formats connus comme le Match, le Catch, le Harold, le Maestro etc. Mais tous ces formats de spectacles peuvent être joué de façons très différentes. On peut jouer un Catch Impro avec un rythme très rapide, des vannes à foison et des grosses contraintes (à l’extrême on aura de la bonne « impro pouêt pouêt »), mais on peut aussi y jouer des scènes très libres, un rythme plus posé, jouée avec sincérité (à l’extrême on aura peut-être juste de l’impro chiante…). Et ce ne sera alors clairement pas le même spectacle.
J’ai choisi délibérément le cas du Catch pour illustrer mon point suivant : le format influence la façon de jouer. Et par exemple le Catch Impro encourage, dans son format, un jeu efficace, rapide, avec beaucoup de contraintes. On peut s’en éloigner plus ou moins, mais c’est ce qui est encouragé naturellement.
Ainsi, si l’on souhaite jouer d’une certaine façon, il faut que le format soit adapté. C’est le format qui devrait être au service des envies de jeu, et c’est donc les envies de jeu qu’il faut définir de prime abord, avant de parler de format de spectacle.
La genèse de 100% Hugh&Olivier
Lorsque nous avons commencé à jouer avec Olivier, nos envies de jeu n’étaient pas particulièrement bien définies. Tout au plus souhaitions nous jouer des scènes assez libres, ce qui est un cahier des charges bien vague. Nous avons eu une dizaine de dates à l’Improvidence la saison dernière afin de tester et trouver une formule qui nous convienne. Nous avons commencé avec un format simple avec un invité où entre chaque impro nous demandions une impulsion au public, et c’était correct. Puis nous avons testé un format plus libre avec plus d’invités, ce qui a un peu raté et nous amené à recentrer sur juste nous deux plus un invité afin de mieux maîtriser le spectacle tout en ayant un élément extérieur pour amener autre chose. Nous sommes aussi passés à un format encore plus libre, sans coupures entre les impros, mais en demandant une liste de choses au public en début de spectacle (des lieux, des relations entre personnages…) que nous utilisions librement pour nous inspirer. Cela a donné des spectacles plutôt bons, qui gardaient une cohérence entre eux mais étaient assez variés notamment de part nos invités (et aussi la présence ou non de musiciens).
Après cette saison de spectacles nous avons pris un peu de recul et fait un gros weekend de travail pour définir plus précisément ce que nous souhaitions pour la saison suivante, et depuis septembre nous avons affiné encore et refait un weekend intensif tous les deux. Tout d’abord nous avons décidé de n’inviter que ponctuellement un autre comédien, puis nous avons allégé encore le format en ne demandant qu’un mot au public au départ.
Le format consiste maintenant simplement à demander un mot au public (le premier qui est donné), puis en discuter de vive voix pendant une petite minute, et ensuite d’enchaîner librement des scènes (le technicien lumière faisant un noir entre les scènes).
Mais alors, à quelles envies de jeu ce format correspond-il ? Et pourquoi diable ce spectacle est-il voué à l’échec ? Le suspense est insoutenable, et j’en suis désolé.
Les envies de jeu et ambitions du spectacles
Ces fameuses envies de jeu touchent à la fois la forme et le fond. En voici une petite liste non ordonnée (et peut-être pas complètement exhaustive) :
- Que l’on utilise nos expériences et ressentis personnels
Nous partons d’une discussion autour de ce que nous inspire personnellement le mot. L’anecdote personnelle sert de point de départ (lors du dernier spectacle c’était mon dépucelage par exemple…), et ensuite les scènes utiliserons ce qu’on a à l’esprit. Ainsi l’actualité sera souvent présente, par exemple le dernier spectacle a beaucoup parlé de Macron, le précédent contenait différentes dystopies suite à l’élection de Trump, le précédent traitait beaucoup d’immigration et de réfugiés etc. Le monde de l’entreprise et l’aliénation par le travail sont aussi des thématiques récurrentes, parce que moi j’en viens et qu’Olivier est en plein dedans. - Que le spectacle soit plus que la somme de ses scènes
Ce point découle du (ou est induit par le) précédent. Idéalement, comme dans un bon Harold, le spectacle devrait avoir une cohérence globale, et une cohérence thématique. Cette thématique sera découverte et précisée au fur et à mesure, chaque scène étant inspirée par toutes les scènes précédentes. Et chaque scène contribuerait à développer une facette de cette thématique. Par exemple dans le dernier spectacle je pense que la scène de l’éleveur de poulets en batterie prend plus de sens parce qu’elle était précédée de plusieurs scènes avec des employés de bureaux surmenés et exploités. Pourtant aucun lien n’était recherché, ou alors inconsciemment. Mais comme dans le montage vidéo, la juxtaposition de deux plans donne plus de sens que chaque plan pris indépendemment (voir le fameux effet Kuleshov). - Que le spectacle soit engagé et les scènes spécifiques
Les points précédents amènent à une forme de spectacle « engagé ». Le terme a une connotation qui peut être négative, mais il ne s’agit pas pour nous de faire un spectacle militant, il s’agit juste de s’engager dans une thématique si on l’aborde dans une scène. Et notamment pour cela nous essayons d’être le plus spécifiques possibles (par exemple le simple fait de citer de vrais noms d’entreprises, de politiques ou autre), parce qu’on peut difficilement être engagé dans du flou. - Que le spectacle soit drôle
C’est le genre d’objectif qu’on peut parfois négliger ou alors qu’on n’assume pas forcément, mais clairement nous cherchons à faire un spectacle drôle et divertissant. Si au cours du spectacle on peut amener aussi des scènes tristes, stressantes voire choquantes, tant mieux, mais l’objectif global est quand même que le spectacle soit drôle. - Que les scènes soient variées à la fois techniquement et situationnellement
Nous cherchons à utiliser différentes techniques de jeu pour varier les scènes et nous surprendre : utilisation de la narration, des chansons, des scènes sans paroles, interprétation de multiples personnages, ellipses, etc. Et aussi que les situations soient les plus variées possibles. Par exemple nous avons régulièrement des scènes « historiques », Olivier étant féru d’histoire. - Que le quatrième mur soit perméable
Nous ne demandons qu’un mot au public, mais nous souhaitons que le public se sente tout de même inclus dans le spectacle. Enfin surtout que le public sente que nous partageons un moment, donc s’il arrive quelque chose, que ce soit un téléphone qui sonne, quelqu’un qui s’exprime ou encore un rire inopportun nous le prenons en compte. Peut-être en l’intégrant à la scène, peut-être en sortant de la scène, en faisant de la « méta-impro », en commentant ce qu’on est en train de jouer. Nous cherchons un rapport simple avec le public, c’est aussi pour ça que nous sommes déjà sur scène quand le public entre dans la salle.
Je pense que ce sont les principaux objectifs… Et c’est déjà beaucoup ! Aucun spectacle que nous avons n’a atteint tous ces objectifs de façon satisfaisante, et je ne pense pas que nous y arrivions. Enfin nous y arrivons un peu, et sans doute de mieux en mieux, mais je doute que nous soyons un jour 100% satisfaits. Donc le spectacle sera toujours en partie un échec. Et si un jour nous estimons qu’un spectacle a atteint tout ces objectifs alors nous en rajouteront d’autres ou nous deviendrons plus exigeants. Chaque représentation est une remise en cause.
Nous avons joué des spectacles avec des thématiques très fortes mais qui n’étaient pas très drôles ni variés. Nous avons joué des spectacles très variés, rythmés et drôles mais thématiquement peu consistants. Nous avons joué des spectacles où la méta-impro était trop présente, d’autres où le public n’avait pas vraiment de place.
Le spectacle évoluera encore, avec nos envies. Mais en tout cas le format du spectacle découle directement de tout ça.
Tout ça donne énormément envie de vous revoir ! Mais A QUAND le prochain spectacle ? Est-ce qu’il y a un principe genre c’est « tous les 3ème lundis du mois » ? Ou pas ?
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Toutes les dates sont sur le site de l’improvidence cf le premier lien de l’article 🙂 on joue un peu n’importe quand…
Je crois que le spectacle que tu avais vu était en gros sur l’adaptation culturelle, pas mal d’histoires de «poisson hors de l’eau», mais peu de variations de rythme et trop de meta impro 🙂
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AH mais oui. GENIAL je peux venir à la prochaine ! J’ai écrit « 100% HO » sur mon agenda.
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Vu ce samedi à l’Improvidence d’Avignon et j’ai beaucoup aimé. Les références sur le monde réel grâce aux connaissances historique d’Olivier, la façon de « maltraiter » les installations de l’autre, la réincorporation des évènements. Vous n’en faites pas trop, vous ne cherchez pas à faire rire absolument, vous laissez des silences. Vous tentez cet exercice périlleux qu’est la méta impro. Je trouve que vous trouvez un équilibre narratif qui n’a rien à envier à un spectacle écrit. Du coup j’ai découvert ton blog et j’adore.
Demain en atelier on va se faire l’exercice de la constellation dont tu vantes les mérites.
Merci pour toute tes infos.
Marc Troupe Impacth Avignon
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Merci 🙂
Au plaisir de se recroiser !
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