30 est un spectacle d’impro simple à comprendre et à jouer, qui encourage la variété, la diversité et le dynamisme et dont je me sers aussi comme outil pédagogique. Et comme depuis quelques mois il a été joué par différentes personnes à différents endroits, je me disais qu’il était temps d’en parler un peu ici, histoire que d’autres expérimentent avec !
Format du spectacle
Il y a deux paramètres : le nombre de scènes et la durée totale. J’ai choisi d’imposer 30 scènes en 60 minutes, c’est le nombre optimum que j’ai trouvé pour faire ce que je voulais. Et quand je parle de « scènes » on pourrait plutôt dire « pièces » ou « impros ». Il pourrait tout à fait y avoir des impros contenant de multiples scènes, avec des ellipses, des changements de lieu etc. Ces impros là compteraient comme 1. Donc disons qu’il s’agit de jouer « 30 pièces de théâtre en 60 minutes« . (L’inspiration initiale me vient du spectacle « Too much light makes the baby go blind », qui se joue à Chicago depuis 20 ans et n’est pas un spectacle d’impro. Mais ils font bien 30 pièces en 60 minutes. Environ. )
Et il y a un principe technique : pour annoncer la fin d’une impro quelqu’un crie son numéro. Donc pour conclure la première scène/pièce/histoire/impro quelqu’un criera « 1 ! ». Pour conclure la 26e quelqu’un criera « 26 ! ». Alors le régisseur fait un noir et ça enchaine sur la scène suivante. Pour conclure le spectacle tout le monde pourra crier « 30 ! » au moment où le compte à rebours atteint 0. N’importe qui, sur scène, en réserve, en régie ou même dans le public peut crier une fin de scène. Mais je n’ai jamais dit aux spectateurs qu’ils pouvaient le faire. Si quelqu’un veut tenter… (Ici l’inspiration initiale me vient à priori du spectacle « Random » du Théâtre de l’Oignon, puisqu’ils crient « Random ! » pour conclure une impro. Ce n’était pas forcément conscient, mais j’ai utilisé le principe pour la première fois peu de temps après les avoir vu joué, donc c’est sans doute lié !)
Enfin, techniquement pour que ça fonctionne bien on projette en gros le numéro de la scène en cours et le compte à rebours. Pour ça je mets à disposition un petit fichier html à ouvrir dans un navigateur en plein écran que vous pouvez télécharger ici. Clic gauche au niveau du numéro pour incrémenter, clic droit pour décrémenter (en cas d’erreur). Clic sur le temps pour lancer le décompte. Et quelques boutons en haut à gauche pour relancer, et aussi régler la durée (60 minutes par défaut). J’inclus également un générique vidéo, sur lequel on fait (dans notre collectif lyonnais) une intro à base de positions qui changent à chaque incrémentation, synchronisée avec des flashs de lumière.
Il n’y a pas spécialement d’interaction avec le public. Je demande en général un élément comme un lieu pour inspirer la première scène mais ensuite rien n’est prévu. Toutefois, absolument rien n’empêche de redemander des choses au public ultérieurement, si ça vous fait plaisir.
Objectifs
Pourquoi ces contraintes ? Eh bien à Lyon et à l’Improvidence en particulier il y a beaucoup de spectacles qui sont des enchaînement de scènes libres, sans MC, avec le régisseur qui fait un noir pour marquer les fins de scènes. Et le constat que j’ai fait après en avoir vu beaucoup (et aussi fait la régie de beaucoup) est que très souvent il y a un problème de rythme. Et c’est bien gentil de donner la responsabilité au régisseur de couper les scènes, mais encore faut-il qu’elles ait un truc qui ressemble à une fin, ce qui n’est pas si souvent le cas. En plus on tombe souvent sur des scènes assez similaires, en terme de jeu et de durée, avec en général une dizaine de scènes par spectacle.
Avec 30 on a un spectacle plutôt pêchu et surprenant, et qui donne la responsabilité aux comédiens de couper leurs scènes. Ce dernier point semble peut-être aller de soi, mais vraiment ce n’est pas le cas.
Et pour moi l’objectif principal des comédiens est la recherche de variétés dans les scènes. Déjà en terme de durée : si le spectacle est un enchaînement de 30 scènes de 2 minutes c’est un échec et ce sera pénible pour tout le monde. Certaines scènes doivent durer 10 secondes, ou même moins. Et idéalement on cherchera aussi à varier les types de scènes et les techniques de jeu. Peut-être qu’une scène sera un conte « à la Disney » qui durera 20 minutes, que la suivante sera une engueulade de couple pendant 1min30, etc.
Quand on démarre une scène on ne sait pas si on démarre pour 10 secondes ou 10 minutes. Si ça part mal on coupe et voilà, les tentatives ratées font partie du spectacle. Souvent j’ai comme retour que les comédiens se sentaient vraiment libres de tenter des trucs.
Il y a aussi un véritable méta-jeu qui se crée entre les comédiens, puisque n’importe qui peut couper. J’ai vu par exemple des cas où deux personnes essayaient à chaque fois de démarrer une scène ensemble mais étaient systématiquement coupées après quelques secondes. Après deux ou trois essais infructueux elles ont coupé les quelques dernières scènes rapidement pour ensuite jouer la trentième ensemble, sachant qu’il restait quelques minutes de spectacle. C’est un exemple parmi tant d’autres mais c’est un spectacle qui encourage le « mischief », le fait de se jouer des uns et des autres, de jouer avec les règles et ainsi de suite.
Conseils et choses à éviter
Après pas mal d’utilisations en atelier et quelques représentations diverses, voici les conseils que j’ai :
- éviter de jouer à moins de 4. Je pense que ça fonctionne bien entre 4 et 12 sur scène. Je trouve que 6-8 est le meilleur compromis. On l’a joué à 3 et ça a été joué à 2, mais je trouve qu’on perd vraiment de l’intérêt, et ça devient un peu brouillon. On peut moins avoir l’oeil sur le temps, on est sollicité dans presque toutes les scènes donc on peut moins penser au spectacle dans sa globalité.
(Je ne suis plus d'accord avec ce point, c'est juste que les tentatives que j'avais vu ou joué à 2 ou 3 n'étaient pas assez travaillées ou qu'on n'avait pas assez d'expérience du format. A 2 ou 3 ça peut très bien fonctionner.)
- se poser la question : « qu’est-ce qui n’a pas encore été fait dans les scènes précédentes ? ». Je trouve que c’est une bonne façon de chercher la variété. Pas encore eu de narration ? Allez je fais ça à la prochaine. Que des scènes à notre époque ? Je démarre la prochaine dans le Chicago des années 30.
- garder 30 scènes en 60 minutes. Ça a été tenté en 75 minutes mais c’était longuet sur la fin. Et réduire le nombre de scènes limiterait l’intérêt aussi (au pire s’il faut faire 10 scènes en 1 minutes pour finir, bah très bien). Après si c’est un créneau de 30 ou 40 minutes, alors réduire le nombre paraît une bonne idée !
- plutôt prendre le temps au début, quitte à faire 20 scènes en 10 minutes à la fin s’il faut, plutôt que d’aller à fond au départ. Mais en même temps varier rapidement les rythmes pour habituer le public et les comédiens au fait qu’une scène puisse durer 5 secondes.
- que le régisseur soit au taquet pour faire un noir puis incrémenter le compteur. Juste pour éviter les oublis d’incrémentation en particulier.
- éviter de dire le numéro de scène en tant que personnage dans la scène : à chaque fois que ça a été tenté ça a juste créé un doute, il vaut mieux que le numéro soit bien crié hors-jeu (mais ça peut être par un comédien en scène, juste pas en tant que personnage).
Utilisation pédagogique
J’ai d’abord utilisé 30 en atelier, avant de le jouer pour la première fois en juillet dernier avec L’Equipe Bis. Comme l’objectif principal est la variété, c’est parfait pour utiliser en fin de trimestre ou d’année pour encourager à mettre en pratique toutes les techniques de jeu qui ont été abordées.
Je change simplement la durée pour commencer, par exemple en faisant 12 scènes en 20 minutes, ou 15 en 30 minutes. Souvent ça va trop vite au début à cause de la pression du « spectacle », donc c’est bien de le faire plusieurs fois.
Et j’encourage vraiment à essayer d’abord le spectacle dans le cadre d’un atelier avant de le faire en public, pour bien sentir le rythme et les possibilités que ça offre.
Enfin bref, si vous voulez l’essayer, c’est open ! (enfin je veux bien être prévenu le cas échéant, même à posteriori, histoire d’avoir des retours et de voir si ça plaît…)
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