Improviser en visioconférence

Système_de_visioconférence_professionnelle_StarLeafJe n’avais pas écrit d’article depuis longtemps, soit parce que je ne trouvais plus rien à dire, soit parce que je ne trouvais plus d’intérêt à les dire. Mais le confinement que nous vivons actuellement nous contraint à tenter de nouvelles choses, et ça fait des trucs à partager !
Alors c’est parti pour un premier retour d’expérience sur l’improvisation théâtrale par visio, que j’appelerait SDI pour « Socially Distanced Improvisation » (et en hommage à la Semaine de l’Impro de Nancy, annulée cette année…).

Un peu d’histoire (passionnante)

Quand j’ai su que les théâtres fermaient, un de mes premiers reflexes a été de continuer à proposer des spectacles en streaming. Par exemple à l’Improvidence à Lyon il y a un petit système webcam + micro pour streamer des spectacles sur Youtube. C’est pas fou mais c’est regardable pour se faire une idée d’un spectacle ou se revoir après avoir joué.

Ce serait rigolo à faire, mais quand même difficilement regardable. Et puis des spectacles en ligne ont commencé à être proposés à l’étranger. Vinny François a même obtenu une subvention pour le spectacle Loneliness (j’ai pas réussi à passer les 10 premières minutes pour ma part…). Il y a même un festival, le Impro Fest Online mais à l’heure actuelle celui-ci ne propose que des workshops, pas de spectacles.

Et puis j’ai  reçu un coup de fil d’Antoine Noirant me proposant de rejoindre une équipe montée par JM Guillaume sur l’impulsion d’Eric Sélard (si j’ai bien suivi), pour jouer un spectacle en ligne, voire créer une plateforme collaborative pour diffuser des spectacles d’impro en ligne.

La plateforme est Direct Impro, qui communique sur Facebook et est diffusée sur Twitch : www.twitch.tv/directimpro et le spectacle est devenu une série nommée Star Truk, avec Hélène Lauret, JM Guillaume, Loïc Armel Colin, Mark Jane et moi-même en comédien, et deux personnes à la régie et la technique : Antoine Noirant et Jacques Mivi (les épisodes sont peut-être encore visibles par ici : https://www.twitch.tv/directimpro/videos ) .

On a testé des trucs, trouvé des choses qui fonctionnent et d’autres non, explorés différentes pistes. En parallèle j’ai commencé à animer des ateliers sur le sujet et je prépare un spectacle 30 en ligne, avec l’équipe lyonnaise du spectacle.

Et c’est un peu tout ça que je vais essayer de partager ici, avec d’abord les partis pris d’ordre artistique, et ensuite des détails techniques divers et variés.

Limitations et nouvelles possibilités

Au risque d’enfoncer une porte ouverte, je le clame haut et fort : improviser en visio est très différent d’improviser sur scène. Le fait d’être en visio, avec en plus du materiel audiovisuel et des connexions internet de qualité variable, donne un aspect beaucoup plus réaliste que la scène. Et donc toute chose non réaliste ou tangible paraîtra déplacée.

Concrètement, ce qui fonctionne clairement le mieux c’est partir du principe que nous jouons des personnages qui communiquent en visio. Tout simplement. Chercher à simuler autre chose ne marche en général pas vraiment. Et petit bonus : ça permet de justifier tous les problèmes techniques notamment liés aux connexions internet plus ou moins stables.

On peut toutefois aller vers des partis pris plus oniriques, par exemple illustrer ce qui se passe dans la tête d’un personnage ou ce genre de choses, mais je trouve que ça ne prend que si on déjà établi un cadre crédible de communication audiovisuelle. D’abord mettre en place un cadre clair et ensuite commencer à le péter.

Sur Star Truk le parti pris est clair : on ne voit normalement que les communications filmées entre les membres d’un équipage de vaisseau spatial.

Par contre c’est aussi un média rêvé pour les monologues. Que ce soit un journal de bord, un journal intime, un vlog diffusé sur Youtube, un tuto beauté sur instagram ou que sais-je encore, ça fonctionne très bien.

Autre chose qui ne fonctionne pas : les mimes. Contrairement à l’espace scénique où le spectateur à la place de se projeter, la visio est très limitante. Je trouve qu’on ne croit pas aux objets mimés. Donc il faut s’accessoiriser. avec un tas de trucs qu’on peut prendre, facilement accessibles. Pour ma part, dix minutes avant le début de Star Truk je fais un petit tour dans la maison prendre des objets aléatoires, et je demande à mes colocs de m’en donner un ou deux. Ils serviront ou pas, mais ils sont là.

On est du coup aussi limités en terme de personnages et de décors. Pour les personnages ça peut être pas mal d’avoir quelques vêtements et accessoires de rechange par exemple. Pour les décors ça peut être plus simple ou plus compliqué. Un fond trop marqué sera gênant (si c’est clairement une chambre ce sera plus compliqué de faire croire à autre chose). Mais on en général la possibilité de se déplacer, de bouger la caméra etc. On peut par exemple jouer depuis son ordinateur (éventuellement déplaçable) mais à un moment passer sur son téléphone.

On peut aussi utiliser des remplacement de fonds. Sur Star Truk j’étend un drap bleu derrière moi, et on met tous en incrustation derrière nous des images (ou vidéos) parmi une banque d’images présélectionnées. Ça fait cheap, mais on fait une série de SF inspirée de Star Trek en visio depuis chez nous avec des moyens dérisoires, et ça s’appelle Star Truk : on a parfaitement conscience que c’est ultra cheap. Mais je trouve que tout ça ensemble fonctionne et ça donne un certain charme désuet.

On a aussi tout un tas de possibilités supplémentaires, par exemple en utilisant uniquement la voix et pas la vidéo. Si une personne est à l’écran je peux facilement jouer un personnage hors champ en coupant ma vidéo mais pas le son. La narration fonctionne aussi très bien. On peut rajouter de la musique, et même de la vidéo.

Et globalement les principales techniques de jeu qu’on a développé en improvisation théâtrale fonctionnent en visio. En particulier rentrer sur scène se fait en activant sa webcam. La plupart du temps si je rentre sur scène c’est pour changer de scène, et ça fonctionne très bien. Il est juste important d’être encore plus clair sur à qui on s’adresse, puisque que le regard ne suffira pas. Il y a quelques nouvelles habitudes à prendre, mais on s’habitue vite.

Point d’attention assez important : improviser en visio, d’autant plus si on utilise des accessoires, des décors ou autres, nécessite beaucoup de concentration, encore plus que sur scène. Et c’est très pratique d’avoir une petite messagerie sur le côté pour communiquer les infos importantes (équivalent du chuchotement en coulisses).

Il y aurait d’autres choses à dire, mais je pense que l’essentiel et là, donc je passe à la suite :

 

Et techniquement, comment ça marche ?

Il n’y a pas qu’une seule façon de faire, mais je vais présenter comme on gère Star Truk et 30, sachant que les deux sont diffusés sur la même plateforme (mais ça change presque rien).

 

1/ La communication entre participant·es

C’est l’outil de base, et on utilise Zoom, comme à peu près la moitié de la planète en ce moment. Ça fonctionne bien, c’est plutôt léger, toutes les plateformes sont supportées, et il y a plein d’outils très puissants et pratiques : remplacement de fond, messagerie intégrée, administrateur qui peut gérer les micros et webcams des participant·es, possibilité de partager son écran et/ou son son. Y’a même un tableau blanc intégré qu’on peut partager. Je vous conseille la configuration suivante : affichage en vue « galerie » (tous les participant·es visibles à une place fixe), affichage des participant·es même si la vidéo est inactive (y’a l’option de les masquer mais je trouve plus simple de les garder, cf plus bas), et messagerie ouverte.

Et surtout, fonctionnalité la plus fondamentale : avec un compte pro (indispensable), on peut diffuser la conversation Zoom vers une autre plateforme (Facebook, Youtube… tout ce que vous voulez !).

2/ La diffusion en ligne

En l’occurrence pour les spectacles Direct Impro on diffuse vers Restream (une plateforme qui permet de streamer facilement un même contenu vers différentes plateformes de diffusion), qui a son tour diffuse vers Twitch. Pourquoi est-ce qu’on ne diffuse par directement sur Twitch ? Bonne question, que j’aurais pu poser avant d’écrire ce paragraphe, ou même maintenant, mais ça donnera l’occasion à quelqu’un de compétent de donne l’information en commentaire !

L’avantage de Twitch est que ça fonctionne vraiment comme une chaîne de télé avec une adresse fixe, sur laquelle n’importe qui peut se connecter pour voir ce qui est en train d’être diffusé, et les contenus streamés sont ensuite regardables plus tard, mais je ne sais pas combien de temps.

Ce qui est diffusé par Zoom est l’ensemble des participant·es ayant la webcam active, ou ce qui est en train d’être partagé en plein écran. Donc pour apparaitre ou disparaitre il suffit d’activer ou désactiver sa webcam. C’est exactement l’équivalent de rentrer ou sortir de scène.

Dans Zoom si vous faite un clic-droit sur un participant ayant désactivé la webcam, vous pouvez choisir de masquer les participant·es non visibles, ça affiche donc ce qui sera diffusé. Mais je conseille plutôt de les garder, par ce que c’est plus simple d’avoir tout le monde a un endroit fixe sur son écran.

Dans Star Truk et 30, on a une personne qui s’occupe spécifiquement de gérer la diffusion sur Twitch, et éventuellement faire des retours par rapport à ce qui y est dit (surtout si des choses sont demandées au public).

3/ La diffusion de son et vidéo

Il est possible de diffuser du son et de la vidéo, mais c’est un peu du bricolage, et il y a plusieurs possibilités.

Dans Star Truk on a un régisseur dédié entièrement au son et à la vidéo, dans 30 pour l’instant une seule personne gère à la fois son, vidéo et diffusion Twitch (mais c’est Pierre Lemmel, il a 4 bras), et ils utilisent des techniques très différentes.

Dans Star Truk, Antoine diffuse de la musique en remplaçant le son de son micro par de la musique. Il a une table de mixage sur laquelle il branche son micro et un truc qui diffuse de l’audio, et la sortie de la table de mixage entre dans l’entrée micro (ou entrée ligne ?) de son ordi. En gros. Comme Antoine n’a pas besoin de son micro pendant le spectacle je suppose qu’il pourrait juste brancher le son directement dans l’ordi. Mais bon ça peut nécessiter des connaissances particulières, voire des cables particuliers (tout le monde n’a pas de jack-jack sous la main ces temps-ci…).

Dans 30 on utilise la fonctionnalité de partage de son présente dans Zoom. On choisit de partager le son de son ordi (dans « partage avancé » on peut ne partager que l’audio), et voilà.

Par contre dans les deux cas la difficulté est de doser le volume, faut faire des balances pour bien tester, et même là ça peut être retraité par Zoom… Donc faut bien tester, et espérer. Idéalement il faudrait regarder le résultat sur Twitch pour régler en live, mais y’a un décalage de quelques secondes et ça bouffe de la bande passante internet. Donc pas idéal.

Et pour la vidéo, Antoine remplace son fond par une vidéo dans Zoom, et met un scotch sur sa webcam. Ça fonctionne, mais toutes les versions de Zoom ne le permettent pas.

Pierre, lui, utilise un logiciel qui capture son écran et l’envoie vers Zoom en se faisant passer pour une webcam. On avait testé avec le logiciel OBS, qui est très puissant et flexible (et qui a un plugin qui permet de créer une webcam virtuelle), mais ça fonctionnait mal.  Donc il lui suffit de lancer une vidéo en plein écran et d’activer sa webcam dans Zoom. C’est aussi ce qu’il utilise pour afficher l’écran de 30, avec le chrono et le numéro de la scène en cours (faisable aussi dans OBS, vu que c’est une page HTLM, mais bon lui ça marchait pas).

Et pour diffuser une vidéo avec son son ? Eh bien c’est plus compliqué. La méthode Noirant ne le permet pas, il lance les deux séparément pour le générique par exemple. Pour 30, on a un générique vidéo avec le son parfaitement synchronisé donc ça ne marcherait pas. Alors Pierre partage son écran et le son dans Zoom (ce qui prend forcément toute la place pour les spectateurs), et ça fonctionne à peu près, en particulier parce que notre générique n’a pas besoin d’être super fluide.

Bref, c’est pas tip top, mais on se débrouille.

Si vous avez d’autres techniques ou des questions particulières, n’hésitez pas à commenter ci-dessous pour que ce soit visible de tous·tes !

 

Est-ce que c’est l’avenir ?

Non, c’est un palliatif. C’est sympa d’expérimenter, on s’amuse bien, autant essayer de faire au mieux, y’a encore plein de choses à trouver, mais ça reste fondamentalement moins intéressant que de jouer sur scène. Enfin je trouve. Mais j’ai raison.

 

PS : je ne me suis pas relu et j’ai la flemme pour l’instant, je me relirai peut-être demain pour corriger les fautes.

7 réflexions sur “Improviser en visioconférence

  1. Merci de cet article, c’est sympa d’avoir un peu les dessous de la réalisation qui apparaît comme une belle prouesse bricolée avec les moyens du bord, mais malgré tout très réussie vue de l’extérieur.

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  2. hello,
    Je suis en train de bosser sur la question de l’envoi simultané de vidéo+son (entre autres) dans Zoom. J’ai une solution qui fonctionne, sans passer par la fonction ‘partage d’écran’ de Zoom, si Pierre est intéressé (je suis déjà en contact avec Antoine pour lui partager mes avancées). Je continue à creuser car je souhaiterai une solution encore plus souple et modulable.
    BuzZ.

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  3. C’est peut être pas l’avenir tel quel mais je vois un réel potentiel. Ce qui manque c’est peut être des outils digne de ce nom et fait pour ce genre de performance (et pas trop cher). Aujourd’hui on réalise des performance de Piece/ Film entierement realisé/ Mise en scène avec un décalage de 5 min dans des théâtres.
    Mais on peut imaginer une interface avec un réalisateur / Metteur en scène qui découpait les scènes, mettrait des fond de scènes et pourrait faire coexister virtuellement deux comédiens sur un même plan qui jouerait chacun chez eux. Tout cela est aujourd’hui techniquement possible, il reste juste a le faire .

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  4. Merci pour ce super récap. Je fais partie de la troupe de Chartres des Vitraux Glycérines et nous avons mis en place des cabarets en direct sur facebook en utilisant Zoom, nous en sommes à notre troisième dimanche et petit à petit on apprivoise la machine. On est passé d’une mosaïque pas très lisible pour les spectateurs avec des comédiens qui rentraient parfois en même temps et des interventions qui se télescopaient à un format plus dirigé par le maître de cérémonie qui décide qui va intervenir en utilisant comme vous l’expliquez la possibilité de masquer les intervenants sans vidéos.
    Nous nous sommes limités à un format d’une heure et la clé est le rythme donné par le MC encore plus que dans un véritable cabaret/match. Si des improvisateurs à l’œil affuté peuvent nous donner leur retour et leurs pistes d’amélioration on est preneurs de vos idées et remarques.
    Ici pour revoir les lives : https://www.facebook.com/vitrauxglycerines
    Et la pour les extraits : https://www.youtube.com/channel/UCIvV6P0Xeh42O6RXIotyj5Q

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  5. Bonjour et merci pour cet article très intéressant ! Préparant un spectacle d’impro en ligne, avec idéalement des interactions entre les personnages, nous rencontrons un soucis sur Zoom : les vignettes n’apparaissent pas toutes à la même place selon que l’on utilise un smartphone, une tablette ou un ordinateur (du coup, Jean-Pierre qui s’adresse à Monique en levant la tête sur ordinateur « s’adresse » à la mauvaise personne sur tablette…). Auriez-vous une alternative / une option Zoom à proposer ?

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    • Une astuce est que normalement la première personne qui active sa caméra est affichée en premier, en tout cas dans la sortie de Zoom qui est streamée. Ce qui peut être pratique mais ça n’aide pas non plus pour se repérer dans la vie galerie de Zoom.
      Sinon globalement j’évite d’utiliser le positionnement des vignettes pour simuler des discussions entre personnages 🙂

      Après y’a d’autres solutions que Zoom. En particulier Skype qui a maintenant aussi la gestion des fonds qui lui manquait, et qui est aussi le seul système de visio mainstream a pouvoir sortir les flux vidéos individuels via NDI, qui peut ensuite être géré manuellement ou automatiquement… Mais là on entre dans le domaine des gros (gros) geeks 🙂

      J’ai pas eu d’expérience particulière sur Skype mais aujourd’hui si je refaisais des spectacles en visio je partirait peut être sur lui… En tout cas je testerais ! Mais c’est un poil plus complexe pour streamer que Zoom 🙂

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  6. Pingback: Improviser en streaming – Impro etc.

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