Méta-impro et quatrième mur

Certains l’aiment jusqu’à la déraison, d’autres en petite quantité, d’autres la rejettent complètement pour des raisons plus ou moins valables : je parle bien entendu de la méta-impro. J’avais envie d’en parler en détail depuis un moment, mais alors que je commence la rédaction je vois se profiler à l’horizon tellement de choses à dire que je commence à prendre un peu peur. Allez, on y va.

D’abord, comme de coutume, il serait de bon ton de donner une définition de ce qu’on entend par « méta ». Vous voyez ce que j’ai fait au paragraphe précédent ? J’ai commenté l’acte d’écrire l’article. Eh bien c’est ça, en gros. Là on est vraiment dans un cas très limite, puisqu’il n’y a pas de différenciation entre l’auteur de l’article (moi) et la personne dont le point de vue est exprimé (également moi), et cet article n’est pas une oeuvre d’art ni de fiction. Mais fondamentalement faire de la « méta » c’est commenter une oeuvre, au sein même de cette oeuvre.

Cela s’applique particulièrement à l’impro (j’y reviens un peu après), mais on peut trouver de la méta dans toute forme artistique à priori, et au cinéma et au théâtre en particulier (je suis sûr que ça existe, mais si vous avez des exemples en peinture, littérature ou autre, je prends !). Récemment au cinéma (et auparavant en BD) on a par exemple eu les cas extrêmes de Deadpool (qui sait parfaitement qu’il est dans un film de super héros) et de Lego Batman (qui commente même les logos Warner et compagnie avant le film). D’une façon ou d’une autre, faire de la méta, c’est dire « hey ! on est dans une oeuvre de fiction ! ». Donc pour moi tout brisage de quatrième mur est aussi une forme de méta, que ce soit dans Fight Club, dans Funny Games, dans la célèbre scène post-générique de Ferris Bueller (ce dernier disant juste aux spectateurs de partir parce que c’est fini), ou même au théâtre avec le bon vieil aparté.

La méta brise l’illusion que ce que l’on voit est vrai, mais pour moi cette illusion est elle-même une illusion : même si on se sent très impliqué émotionnellement dans une oeuvre, on ne doute jamais vraiment de sa fictivité (oui, j’invente des mots). On a toujours conscience que l’on est dans une fiction, et c’est en particulier vrai pour l’impro.

Dans un vieil article je parlais des deux histoires que raconte une impro : on raconte toujours à la fois une fiction et l’histoire (vraie cette fois-ci) des improvisateurs qui la créent. La méta est donc inhérente à l’improvisation, en tout cas tant que les spectateurs sont au courant que c’est improvisé. Mais l’impro n’a pas le monopole de la méta ! Quand je regarde un film, même si je suis immergé dans l’histoire, j’ai toujours conscience du travail effectué. Quand je vois une séquence d’une beauté visuelle renversante, je ne me dis pas seulement « wahou c’est beau ! », je me dis aussi « wahou les artistes derrière sont vraiment bons ! ». Pareil pour les acteurs. Quand je regarde The Dark Knight je ne me dis pas seulement « il est flippant le joker ! », je me dis aussi « il est fort ce Heath Ledger ! ».

Donc à ceux qui fustigeraient la méta-impro, « parce que ça ne se fait pas », à mon avis vous êtes dans le déni.

Ensuite les deux principales questions soulevées sont :

  • Comment doser la méta ?
  • Quand et comment l’utiliser ?

Et ces deux questions sont très liées. Je vais essayer de prendre une série d’exemples typiques histoire de ne pas réfléchir dans le vide.

1 – Le méta-spectacle

On commence par le cas extrême : le spectacle d’impro dont l’objectif est d’interroger sur le fait même d’improviser. Dans cette catégorie je ne vois vraiment que le spectacle 2, de Christophe Lecheviller (si je ne m’abuse). Un spectacle que je n’ai pas vu, mais apparemment un temps non négligeable serait alloué au fait que les comédiens se demandent s’ils sont en train de jouer ou pas.

Autre exemple : dans cet article, Peter Gwinn parle d’un spectacle d’impro (un Harold) où la suggestion de départ était « communisme » et où au bout d’un moment les improvisateurs commençaient à commenter le fait que certains jouaient plus que d’autres, et au final ça s’est terminé avec les lumières de la salle allumées et les comédiens cherchant à faire monter sur scène les spectateurs pour que le spectacle soit parfaitement égalitaire.

Cela fonctionne aussi à l’échelle d’une scène. Par exemple hier j’ai joué un spectacle avec la Compagnie Arnold Schmürz, dont j’ai fait partie de nombreuses années et que j’ai quitté il y a deux ans. Il se trouve qu’il portaient tous un t-shirt de la troupe, couleur « framboise écrasée » et moi j’avais une chemise violette. Dans une scène ils se retrouvaient à voler des framboises dans un jardin et s’en mettre partout, je les engueulais puis ils commençaient à me badigeonner de framboises alors que je criais que je ne voulais pas les rejoindre, que je ne faisais plus partie du groupe (je précise que c’était un spectacle autour des rêves, donc assez chelou). Je réussissais à m’enfuir mais je revenais à la scène suivante avec un t-shirt framboise écrasée. C’est encore un cas de méta-commentaire, mais qui n’aura été compris que par les spectateurs qui connaissaient mon passif avec cette troupe. C’est proche de la private joke, mais sans que cela nuise au spectacle.

Au cinéma on trouve plein d’exemple de ce genre, par exemple j’aime beaucoup le film 22 Jump Street, qui est la suite de 21 Jump Street (lui aussi très méta), et qui est grosso modo un film sur le fait de faire une suite. Ou alors Funny Games qui utilise la méta pour faire réfléchir à la posture même de spectateur face à la violence.

Dans ces cas, l’objectif de la méta est au final de faire réfléchir sur l’oeuvre et potentiellement étendre cette réflexion à toutes les œuvres similaires. La réussite ou non est alors sans doute très liée au dosage : si la réflexion méta est utilisée avec trop d’insistance, comme tout message matraqué on risque juste le rejet.

 

2 – Commenter une erreur

Là on arrive dans le plus classique en impro, puisque l’improvisation est le terrain de prédilection de l’erreur, de la confusion et de l’oubli. Cas typique : un comédien marche là où avait été mimée une table et un autre commente « Mais arrête de marcher sur la table ! ». Et là systématiquement ça me fait souffler en roulant des yeux (intérieurement, puisque je n’exprime que rarement mes émotions). Ça ne fait qu’attirer encore plus l’attention sur quelque chose que de toute façon tout le monde avait vu, tout en créant une situation difficile à justifier (et qui le sera d’ailleurs rarement).

A la limite si le comédien avait dit « Attention j’avais mimé une table ici » ça me choquerait moins, voire pas du tout. Là l’indication est donnée à l’autre comédien qu’il y a une table, ce qu’il n’avait peut-être pas remarqué ou qu’il avait oublié, mais comme c’est le comédien et non le personnage qui parle, cela ne rajoute aucune confusion à la situation.

Même chose avec les fameux problèmes de noms de personnages. Si quelqu’un se trompe de prénom alors le plus souvent si un personnage y réagit (« Quoi ? Tu ne te souviens plus de mon nom ? ») on crée de la complexité, alors que si c’est le comédien (« Moi c’est Eric, Paul c’est ton père ») ça ne fait qu’éclaircir la situation.

Et ça ne « sort » pas les spectateurs de la scène : ils savent que c’est du théâtre, ils savent même que c’est improvisé. Si les spectateurs peuvent faire l’effort d’abstraction pour croire à des objets mimés, ils peuvent s’adapter à ça aussi.

Après si ça arrive trop souvent dans un spectacle ça devient aussi un aveu d’échec technique. On cherche quand même à présenter un spectacle de qualité, donc si ça arrive trop souvent ça vaut peut-être le coup de rebosser un peu ces points-là…

3 – Exprimer son ressenti ou ses doutes

Là on arrive à ce qui m’arrive le plus souvent en spectacle dernièrement. C’est assez proche du cas précédent, mais cela arriverait avant qu’une « erreur » soit commise. Par exemple à deux reprises le mois dernier j’ai joué des spectacles dans lequel il y avait des verres et des bouteilles de vin, et je ne savais pas où ils avaient été posé. Alors j’ai simplement posé la question. C’était moi et non le personnage qui posait la question, puisque la raison pour laquelle je ne les trouvais pas est qu’ils étaient mimés.

Ou alors il peut y avoir le cas où se retrouve dans une scène avec un autre personnage et on ne comprend pas s’il y a eu une ellipse, s’il a changé de personnage. Alors ça m’arrive de demander confirmation avant de continuer.

Ou encore si on ne souvient pas de son prénom, autant le demander et ensuite continuer la scène.

Souvent ces petites interventions méta peuvent éviter une forme de gêne pour le public qui verrait les comédiens galérer, voire se planter. S’il y a un problème de compréhension d’un comédien et qu’on essaie de continuer comme si de rien n’était on risque fort de créer à la fois de la complexité inutile et une gêne, un gestalt non résolu. Alors qu’il suffirait de dire « en fait je viens de changer de scène, on est à l’hôpital maintenant » et on peut alors continuer.

Et parfois un comédien peut exprimer directement une gêne ou un désir dans un scène s’il y a un problème. Je pense à un exemple en spectacle avec Olivier Boulkroune où je jouais son père, un Algérien immigré en France qui faisais découvrir son pays à son fils, qui lui posait plein de questions. Sauf que moi, je n’y connais rien, alors qu’Olivier, lui, maîtrise nettement mieux le sujet, son père étant Algérien (si je ne m’abuse). J’aurais pu simplement dire « Attends, tu connais mieux que moi, je préfère qu’on échange nos personnages », mais je ne l’ai pas fait. Aujourd’hui je pense que je le ferais.

4 – Réagir à l’environnement

Dernier petit point, qui rejoint la notion de briser le quatrième mur : réagir s’il se passe quelque chose en dehors de la scène, en particulier dans le public.

Alors parfois cela peut être intégré directement par les personnages. Par exemple s’il y a un gros bruit de tonnerre dehors ça peut être simplement un bruit de tonnerre dans la scène. Mais parfois essayer de faire réagir les personnages ne va encore une fois que créer un truc bizarre et difficilement justifiable. Mais ne pas réagir serait parfois pire, il y a des choses qu’on ne peut pas ignorer. Par exemple quand quelqu’un rit vraiment très fort et tout seul, tout le monde le remarque, et ce sera pour moi bizarre que cela ne provoque rien sur scène.

On revient au test du chat, cher à Yvan Richardet : si un chat traverse la scène et que personne ne réagit, ce n’est pas un spectacle vivant. Et parfois intégrer une véritable traversée de chat dans la fiction serait trop compliqué, mais l’intégrer de façon méta peut être plus simple.

Et ça peut être des choses toutes bêtes. Je pense à un spectacle que je jouais avec Olivier (oui, encore), où deux personnages parlent de kouign amann. On entend alors quelqu’un chuchoter « un quoi ? », on se tourne alors tous les deux vers la personne pour le répéter, et préciser que c’est un gâteau breton plein de beurre, et puis on continue la scène.

Mais encore une fois il y a une question de dosage. Il y a eu des spectacles, en particulier avec Olivier avec qui on fait beaucoup de méta, où la méta est vraiment devenu une béquille, une façon de botter en touche, d’éviter de jouer vraiment la scène. Mais il y a aussi eu des scènes entières qui ne reposaient que sur la méta-improvisation, assumée entièrement, et là ça fonctionnait.

L’équilibre n’est pas évident à trouver, et cet équilibre dépendra aussi des gens. Donc à la question « comment doser la méta ? » je répondrais :

 

 

PS : je n’ai pas trouvé où le mettre exactement dans l’article, mais j’ai finalement décidé de rédiger cet article suite à lecture de celui-ci : http://kennymadisoniscool.com/the-danger-of-going-meta/

 

3 réflexions sur “Méta-impro et quatrième mur

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