Improviser en série

Dans mon article précédent je parlais des liens entre séries animées et improvisation théâtrale, en parlant surtout de l’aspect animé et de techniques d’écritures par épisode. En toute logique je vais maintenant traiter de l’aspect sérialisé de la narration, et l’intérêt que ça peut avoir en impro.

Il y a tout un tas de raisons pour lesquelles les séries sont intéressantes et peuvent nous servir d’inspiration en impro.

Mais d’abord je vais distinguer 3 types principaux de séries :

1 – La série « épisodique » : chaque épisode peut être vu indépendamment (ou presque), ils se suffisent à eux-mêmes. S’il y a des évolutions des personnages ou du monde autour elles seront assez rares. C’est le type de série télévisée le plus standard, qui inclut les sitcoms, les séries policières (une enquête par épisode) ou encore les séries du type « monstre (ou autre problème) de la semaine ». On peut regarder l’épisode 8 de la saison 3 et on comprendra l’essentiel.

2 – La série narrative : les épisodes participent chacun à l’avancement d’une intrigue générale, si on prend en route on ne comprend rien. Et aujourd’hui on n’a presque plus que ça, en particulier les plateformes en ligne (pour binge watcher allègrement).

3 – L’anthologie : chaque épisode est complètement indépendant, mais généralement autour d’une thématique précise. C’est plus rare mais on peut noter des séries comme Au Delà du Réel, Les Contes de La Crypte, Black Mirror ou encore Easy (moins connue, mais je recommande très très fortement).

Je vais mettre de côté l’anthologie, notamment parce qu’il s’agit déjà de ce qui ressemble le plus à un spectacle improvisé en format long : une nouvelle histoire à chaque spectacle, mais avec une thématique, une patte artistique etc. Donc utiliser les anthologies comme inspiration semble assez évident, je n’ai pas grand chose à rajouter.

Ensuite il est important de noter que ces trois catégories ont des frontières très floues, voire même fluctuantes. Easy est à priori une anthologie, mais progressivement ses protagonistes se croisent, s’influencent et évoluent au fil des trois saisons. La plupart des séries épisodiques ont une trame narrative plus ou moins présente, sur une ou plusieurs saisons. Dans Buffy Contre Les Vampires chaque épisode à son monstre spécifique, mais chaque saison a aussi son grand méchant qu’on découvre progressivement. Et même dans les séries les plus narratives on va chercher à avoir des épisodes mémorables par eux-mêmes, chaque épisode aura quand même sa propre trame narrative, ce n’est pas juste un film de 10h. Aujourd’hui presque toutes les séries tendent vers une forme plus narrative et certaines séries ont également évolué en cours de route. Par exemple si au départ South Park était purement épisodique, les dernières saisons sont aussi construites autour d’une trame narrative globale.

Un des principaux avantages qu’on va avoir dans une série (hors-anthologies, on a dit qu’on n’en parlait plus) est qu’une fois le premier épisode passé on n’a plus besoin de présenter le monde et tous les personnages. On peut se concentrer directement sur ce qui change, sur l’élément perturbateur, puisque la situation initiale est connue. Donc on peut aller beaucoup plus vite. Ça tombe bien pour l’impro où nos spectacles tournent en général autour d’une heure. C’est aussi très pratique pour écrire, donc pour improviser : on connait le monde, les personnages, leurs relations, il n’y a plus qu’à voir comment un événement donné va impacter tout ça. Simple, efficace, confortable.

Avant d’aller plus loin, il existe quelques exemples intéressants de séries théâtrales improvisées. Il y a eu quelques spectacles qui ont tenté la forme purement narrative, et ce que j’ai pu voir ne m’a pas convaincu, et je pense que ce n’est pas du tout adapté. Déjà personne ne verra tous les épisodes, et on devra alourdir chaque épisode d’un résumé des épisodes précédents, et d’autre part ces séries-là fonctionnent quand l’histoire est vraiment intéressante et bien ficelée. Chose que l’improvisation permet très très difficilement. Donc on aura juste quelque chose d’assez lourd à mettre en place, frustrant pour la plupart des spectateur⋅ices et contre-productif.

Je vois un petit contre-exemple de ça, et c’est Star Truk, la série qu’on a joué pendant le confinement, diffusé sur Twitch (oui forcément les trucs qui marchent d’après moi sont ceux auxquels j’ai participé…). Une différence clé est qu’étant diffusé en streaming, pas mal de gens ont pu regarder tous les épisodes. On faisait une sorte de récapituler un peu en début d’épisode, et de toute façon les épisodes précédents étaient disponibles en replay, et chaque épisode dure 30 minutes. (ci-dessous une playlist intégrale de la saison 1)

On avait effectivement ici une trame narrative sur toute la saison, chaque épisode en impactant les suivants, mais on cherchait en général à avoir un concept spécifique pour chaque épisode. C’est plus ou moins réussi, on y est allé sans trop y réfléchir non plus, mais à la fin je commençais vraiment à m’attacher aux personnages et je pense qu’il y avait de vrais impacts quand un personnage mourait ou revenait à la vie, ou autre. Donc pour moi c’est un cas particulier qui montre que ça peut fonctionner.

Sinon dans les exemples de spectacles sérialisés récent je pense à Fiasco, avec Séléna Hernandez, mis en scène par Marie Parent et Christophe Lecheviller. Il s’agissait d’une série où un personnage principal rencontre à chaque épisode un nouveau personnage avec lequel elle va vivre/fantasmer une relation (et vu le titre on se doute que ça ne se finira pas en happy end). On a donc un « monstre de la semaine », pas besoin d’avoir vu les épisodes précédents, mais peut-être en profite-t-on plus si on connait le passif (je ne sais pas à quel point les épisodes passés impactaient les suivants, je crois assez peu mais je n’en ai vu que deux…).

Et dans le même genre, tout en étant diamétralement opposé, je pense à Scènes de Crime. J’en ai beaucoup parlé récemment dans cet article, mais j’y reviens. Ce qui est étonnant c’est qu’on ne l’as jamais consciemment créé comme une série, mais on s’est complètement inspiré visuellement des séries policières des années 80. On a deux personnages fixes, avec leur costume et leur personnalité, et à chaque spectacle on résout une enquête. On a même un générique vidéo. C’est donc purement une série improvisée de catégorie 1.

Les avantages ? Le premier, et la raison pour laquelle on a fait ce choix initial, c’est une identité visuelle claire pour le spectacle. Le spectacle est reconnaissable, nos personnages sont reconnaissables. On peut aussi les faire vivre en dehors du spectacle pour communiquer dessus (ce que faisait aussi Fiasco, par ailleurs).

Le deuxième avantage est pour l’écriture : on n’a pas besoin de réfléchir à nos personnages, on les connait, et le spectacle est construit autour d’eux. On n’a plus qu’à se concentrer sur l’élément perturbateur, en l’occurrence une enquête sans queue ni tête.

Enfin, autre avantage qu’on n’utilise pas (encore) : la possibilité de détailler et faire évoluer le monde dans lequel évoluent ces inspecteurs. Que des événements apparus dans un précédent spectacle impactent le spectacle en cours… Ça peut être à la fois une facilité d’écriture pour nous (moins besoin de créer de nouvelles choses) et un plaisir pour les spectateur⋅ices qui reconnaitront la référence, mais aussi un potentiel problème pour celleux qui n’ont pas suivi le reste. Il faut trouver le bon compromis. Et je pense que les séries épisodiques sont un bon exemple à suivre pour ça. Pour l’instant Scènes de Crime reste plus proche des premières saisons de South Park, où les événements n’ont aucun impact sur la suite (la fameuse mort systématique de Kenny), que des dernières saisons ou encore d’une série comme Rick & Morty (qui est je trouve un très bon compromis, sans véritable fil narratif mais avec pas mal de réincorporations d’éléments d’épisodes précédents). Nous verrons bien comment ça évolue !

Et je pense aussi à la mode actuelle dans les grosses productions au cinéma : les univers cinématographiques. Le meilleur exemple (et seul exemple réussi, je dirais) est le MCU, le Marvel Cinematic Universe. Tous les films Marvel (une vingtaine) sont dans le même univers, chaque film est unique mais alimente tout de même une narration autour d’un grand méchant (exactement comme Buffy, par exemple). Chaque film peut être vu indépendamment (ou presque), mais tout encourage à voir tous les films pour en profiter un maximum et voir l’évolution des personnages. Cette fidélisation du public est d’ailleurs un point important de beaucoup de spectacles d’impro qui se jouent de façon hebdo ou mensuelle, et la sérialisation (légère) peut l’encourager…

Donc finalement, alors que je partais de l’idée de s’inspirer plus de séries pour les spectacles improvisés, et qu’en plus dans mon article précédent je disais qu’il fallait arrêter de trop se comparer au cinéma, il semblerait que les films Marvel soient une des meilleures inspirations pour des spectacles d’impro.

Damn.

(Heureusement dans mon prochain article je parlerai encore de South Park, et de choses que seuls l’impro et les séries peuvent faire, et qui est malheureusement trop peu utilisé en impro à mon goût… Et oui, ce bout de texte est l’équivalent de la bande annonce de l’épisode suivant diffusé pendant le générique de fin. #meta)

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