J’ai joué en anglais.

englishIl y a quelques semaines nous avons joué la première de Why Not?, un duo improvisé en anglais, avec Annie Philips. C’était la première fois que j’improvisais en anglais, en dehors de ma courte expérience à Chicago. C’était aussi la première fois que je jouais avec Annie. Et c’est peut-être un des meilleurs spectacles que j’ai joué.

Alors je me pose cette question : pourquoi ? Pourquoi est-ce que c’était le cas ? Quelle coïncidence d’éléments a eu lieu pour que le spectacle fonctionne ? Quelle différence y avait-il avec les dizaines d’autres spectacles que j’ai joué ces dernières années ?

Et je n’ai pas de réponse. Mon esprit analytique aimerait trouver les conditions à réunir pour une reproductibilité parfaite, mais je sais très bien que l’équation modélisant la réussite d’un spectacle d’impro est éminemment chaotique.

Mais avant de chercher les causes, voyons un peu le résultat : qu’est-ce qui pour moi a fait de ce spectacle une réussite ? Si je devais le résumer en un mot, ce serait le flow. Comme le dit Wikipédia, c’est « un état maximal de concentration, de plein engagement et de satisfaction dans son accomplissement ». J’ai l’impression qu’à aucun moment dans le spectacle je ne me suis posé la question de ce qu’on allait faire ensuite, de comment terminer une scène, comment démarrer la suivante etc. Tout s’enchaînait naturellement, sans effort. Et dès que je faisais quelque chose, au moment où je comprenais ce que je faisais, ma partenaire l’explicitait. Sans effort.

Le format du spectacle était très simple : un mot du public (en l’occurrence « pussycat »), une minute de discussion autour du mot, puis des scènes qui s’enchainent, avec ou sans rapport entre elles. Nous étions aussi accompagnés d’Arthur, guitariste experimental, et Antoine aux lumières, et puisque tout était simple et fluide il était d’autant plus simple de se laisser inspirer par le son et la lumière, encore une fois sans aucun effort.

Mais pourquoi ? Alors déjà d’une part il y a peut-être les lunettes roses de la première fois. Première fois en anglais, première fois avec Annie. Je parlais hier avec Nicolas Tondreau, qui racontait le premier Tandem avec Patrick Spadrille. Ils se connaissaient à peine, se sont lancés un défi et leur première fois a été formidable. Pourtant par la suite ils ont pu faire des spectacles techniquement plus aboutis, ils ont appris à mieux se connaitre, mais la première fois reste spéciale. Il y a sans doute un peu de ça.

C’est peut-être aussi simplement le duo qui fonctionne bien, naturellement. Nous nous étions vu une fois il y a quelques mois pour improviser un peu ensemble avant de demander à être programmés à l’Improvidence, avant ça nous ne nous connaissions pas, mais ça a tout de suite collé. Pourquoi ? Eh bien on doit simplement être sur une même longueur d’onde en terme de personnalité et d’envies en impro… Là encore c’est toujours un peu un mystère.

Mais en dehors de tout ça, il y a le fait que nous jouions en anglais. Nous sommes tous les deux Anglais, et avons toujours improvisé en France. Mais nous avons deux histoires assez différentes : Annie est venue en France il  y a une dizaine d’années, et a sinon toujours vécu en Angleterre, l’anglais est donc vraiment sa langue naturelle. Moi je suis arrivé en France à 4 ans, et je ne parle anglais qu’avec mes parents, donc très peu souvent, et je me sens bien plus à l’aise en français.

Pourtant la langue change assez radicalement notre façon de jouer à tous les deux. Thomas Debray, qui a fondé l’Improvidence suite à plusieurs séjours à Chicago, me disait après le spectacle qu’il avait retrouvé dans ce spectacle une façon de jouer qu’il n’avait vu que là-bas et qu’il ne retrouvait pas en France. Et je pensais justement la même chose. Le problème est que nous n’arrivons pas à mettre le doigt sur ce qui fait vraiment cette différence.

Mais Annie n’a jamais vu ou fait d’impro en dehors de la France, donc c’est que la différence doit venir de la langue, et peut-être un peu de la culture (sachant que ma culture personnelle est sans doute essentiellement française…). Et la différence n’est à mon avis visible que si les comédiens sont vraiment anglophones. Un français parlant anglais, même très bien, aura toujours une tendance à traduire en anglais ce qu’il veut dire en français.

Alors qu’apporte l’anglais par rapport au français ? Je ne suis pas linguiste, mais pour moi l’immense avantage de l’anglais, c’est sa flexibilité et son efficacité. La langue peut-être tordue dans tous les sens, on peut inventer des mots ou des expressions sans que ça choque personne (cf Shakespeare ou les Beatles), le vocabulaire existant est très vaste (entre 3 et 10 fois plus que le français, en fonction de comment on compte), et par exemple l’utilisation des verbes à particules permet d’être très imagé et concis en même temps. Du coup on peut dire beaucoup plus, plus facilement et plus rapidement. Ce qui est en particulier très pratique pour écrire des chansons…

Et une autre chose qui me semble apparaître naturellement, c’est le fait de beaucoup répéter la même chose,de paraphraser, de répéter aussi ce que viens de dire l’autre. J’ai l’impression qu’en anglais on peut parler aussi vite que l’on pense, alors qu’en français il est nécessaire de réfléchir plus pour exprimer correctement une pensée. Mais peut-être que du coup en anglais on tend à répéter ce qui vient d’être dit en attendant de savoir ce qu’on dira ensuite, alors qu’en français pendant qu’on parle on réfléchit à ce qu’on va dire après. Du coup en anglais on serait plus dans l’instant et en français on serait plus dans la tête. Et en plus d’être complètement dans l’instant, en répétant on donne plus d’importance à ce qui vient d’être dit, ce qui rend les scènes plus centrées, avec un focus plus précis.

Mais peut-être que je raconte n’importe quoi.

Bref, on rejoue Why Not? le 6 décembre, on verra bien ce que ça donne.

 

 

 

3 réflexions sur “J’ai joué en anglais.

    • C’est possible… Mais du coup c’est une condition difficilement reproductible !
      Par contre le fait d’avoir joué avant a sans doute eu un impact. Quand je sors de spectacle (surtout si c’était bien) je suis en général plutôt excité, bourré d’adrénaline, et j’ai l’impression que ça aide à débrancher le cerveau aussi…

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