Les deux histoires que raconte une impro

vieille_jeune_femmeUne scène improvisée raconte une histoire, celle qui vivent les personnages. Mais la scène improvisée nous raconte aussi l’histoire que vivent les improvisateurs. Cette dualité est toujours présente, et on peut choisir de mettre plus ou moins en avant l’une ou l’autre facette.

Je reprends ici la principale idée exprimée par Tom Salinski dans son introduction du livre The Improv Handbook. Il n’y a rien de révolutionnaire là-dedans, mais je pense que c’est quelque chose de très important à garder en tête.

Le public voit des personnages évoluer, mais voit en même temps les improvisateurs qui tentent des choses, échouent, réussissent, s’amusent, se mettent en difficulté… Et on pourrait être tenté d’essayer de masquer cette deuxième histoire, de ne plus chercher à montrer la performance mais uniquement l’histoire qui en résulte. Sauf que les histoires qu’on racontera n’atteindront jamais le niveau d’une histoire écrite, travaillée, mise en scène. Et dans ce cas quel serait l’intérêt de l’improvisation ?

Cette deuxième histoire qu’on raconte est fondamentale et ne peut être ignorée. C’est l’histoire de personnes qui osent simultanément écrire, mettre en scène et jouer des histoires devant un public. Et qui y arrivent plus ou moins.

En fonction des formats de spectacles cela sera plus ou moins mis en avant. Globalement plus on aura de contraintes de jeu, plus on met en avant la performance des improvisateurs plutôt que les scènes qu’ils cherchent à jouer. On a aussi des formats où la performance est elle-même mise en scène, notamment dans les formats pseudo-compétitifs (Match, Catch, Theatersport…). On aurait alors presque trois histoires en parallèle, puisque les improvisateurs jouent des gens qui jouent une compétition où ils jouent des scènes…

Mais dans tous les cas, on voit les improvisateurs. Parfois on les oubliera le temps d’une scène et on ne verra que les personnages. Peut-être. Mais même dans ce cas, à la fin de l’impro ils reviennent. Un improvisateur ne s’arrête jamais de jouer lors d’un spectacle, même s’il est assis sans rien faire.

Il faut bien avoir conscience que cela fait partie intégrante du spectacle, et comme j’ai l’impression que je vais redire encore la même chose je vous mets juste un lien vers cet autre article. On peut ne pas être en forme, voire même ne pas être content d’être là (parfois il faut bien manger…), mais on ne peut certainement pas le montrer. Ou alors c’est un choix de raconter au public l’histoire de quatre improvisateurs qui préférerait faire autre chose ce soir (mais j’ai du mal à en voir l’intérêt).

Pour finir je voulais juste aborder un élément contre lequel luttent pas mal d’improvisateurs : le décrochage. On entend en général par là le fait que l’improvisateur (mais pas son personnage) se mette à rire sur scène. Pour moi ce n’est pas grave du tout si ça arrive. Soit le rire est passager, et la scène se continue, soit cela devient un fou rire et on arrête la scène. Dans les deux cas je trouve ça plutôt bon signe, c’est la preuve que les improvisateurs s’amusent. Evidemment si c’est très récurrent ça va sans doute nuire au spectacle, et encore ! Même si ce n’est pas l’impro, ça me fait penser au SAV d’Omar et Fred. Je n’ai jamais trouvé ça très drôle, sauf quand eux-mêmes se marraient vraiment (donc plutôt souvent). Le rire est communicatif, en particulier celui d’Omar Sy.

Par contre derrière le mot « décrochage » se cache plus le simple fait de rire. On peut dire qu’un improvisateur décroche dès qu’il sort du personnage. Le rire n’est pas contrôlé, donc ça ne me dérange pas. Par contre le fait de faire des remarques concernant une contrainte donnée, ou bien la justesse du mime ou de l’accent d’un partenaire ne sert à rien et est contre-productif. Le cabotinage est d’ailleurs une forme de décrochage. Décrocher volontairement ramène à l’avant-scène l’histoire des improvisateurs, mais c’est un aveux d’échec : « je n’arrive pas à respecter la contrainte donc je vais arrêter d’essayer ». Ou bien : « Je n’arrive pas à jouer avec mon partenaire donc je vais arrêter d’essayer, et bien vous faire comprendre que ce n’est pas de ma faute ».

Qui veut voir ça en spectacle ? Je veux voir des improvisateurs qui essayent coûte que coûte de faire de leur mieux. Peut-être n’y arriveront-ils pas, mais j’aurais vu l’histoire d’un combat et non l’histoire d’une capitulation.

2 réflexions sur “Les deux histoires que raconte une impro

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